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30 ans, des succès, et des risques ; le Web, l'URL et le futur

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Le 04/03/2019

Nous fêtons ce mois-ci (la date exacte n’est apparemment pas connue), les trente ans du World Wide Web. C’est en effet en mars 1989 que Tim Berners-Lee, puis Robert Cailliau poseront les premières pierres de ce qui allait devenir l’un des services les plus importants utilisant l’Internet.

Aujourd’hui, c’est peu dire que le Web a été un immense succès. Il a révolutionné de nombreuses activités humaines, et changé, souvent en bien, parfois en pire, la façon dont nous effectuons de nombreuses activités. Un exemple des changements est l’accès à l’information de nature encyclopédique : au lieu d’énormes encyclopédies papier, très encombrantes mais jamais complètes, très chères et mises à jour avec beaucoup de retard, nous avons maintenant Wikipedia, où nous accédons facilement et pour pas cher à une quantité d’informations colossale.

Le Web est une parfaite illustration d’une propriété importante de l’Internet : l’innovation sans permission. Aucun parti politique ne l’avait mis à son programme, aucun ministre n’a eu à exprimer son accord ou son désaccord, aucune entreprise ne contrôlait l’Internet, aucune organisation internationale ne servait de point de contrôle pour empêcher les idées nouvelles de sortir. Berners-Lee et quelques-uns de ses collègues ont eu une idée, l’ont mise en œuvre, et les internautes l’ont adopté.

En outre, le World Wide Web a poussé au déploiement massif de l’Internet, qui était bien moins répandu avant que le Web ne soit, pour beaucoup de futurs internautes, une motivation puissante pour se connecter. Si le domaine de tête .FR compte aujourd’hui plus de trois millions de noms de domaine, c’est en grande partie grâce au Web.

Le Web a beaucoup évolué pendant ces trente ans, et il va certainement continuer à le faire. Certaines de ces évolutions sont positives, mais pas toutes. Mais avant de discuter du futur, voyons le passé. C’est quoi, le Web, à l’origine ?

L’article original de Berners-Lee insistait sur la notion d’hypertexte, qui était à l’époque un « buzzword », comme IA ou blockchain aujourd’hui. Ce terme n’est plus guère utilisé, même si le lien hypertexte reste présent et très utilisé.

J’ai vu parfois le Web être décrit comme la conjonction de trois techniques :

  • HTML, le langage de description de pages qui se trouve derrière la plupart des pages Web et qui inclut ces fameux liens hypertextes,
  • HTTP, le protocole réseau par lequel les pages sont envoyées du serveur vers le client,
  • URL, le mécanisme d’adressage de ces pages, qui permet, par exemple, à ce lien de fonctionner (l’URL est http://dompterlestrolls.fr/?p=107). Avant les URL, pour indiquer où se trouvait une ressource sur l’Internet, il fallait faire des phrases compliquées comme « va dans le dossier Truc, puis dans le sous-dossier Machin ». On note que l’URL comprend un nom de domaine mais est plus détaillé que cela.

Comme toutes les définitions purement techniques, elle ne rend pas compte de tous les aspects qui font le Web. Et chacune de ces trois techniques est contestable :

  • il y a des ressources Web qui ne sont pas en HTML mais, par exemple, sous forme d’un format vidéo (sans compter les pages sans HTML et fabriquées entièrement par du code JavaScript téléchargé),
  • le protocole HTTP n’est qu’un « simple » protocole de transfert de fichiers, il pourrait être remplacé sans trop changer le Web,
  • les URL, ah, non, les URL, eux, sont vraiment cruciaux, les liens hypertexte en dépendent. C’était vraiment une idée géniale, toute simple, genre œuf de Colomb, mais qui a permis beaucoup de choses.

Bref, le Web est difficile à définir (sans compter les erreurs des gens qui appellent « Web » tout ce qui a un rapport avec l’Internet). Ce n’est pas grave, ça ne l’empêche pas de fonctionner.

Plus gênantes sont les menaces qui planent aujourd’hui sur le Web et qui pourraient en changer profondément, et pas pour le mieux, la nature. Quel rapport avec les URL, me direz-vous ? C’est parce que l’URL est au centre d’une des propriétés les plus importantes du Web, propriété qu’il a hérité de l’Internet, la *décentralisation*. Vous voulez publier quelque chose sur le Web ? Vous ne dépendez pas d’un gros acteur qui peut vous accepter ou vous refuser. Un nom de domaine, un serveur HTTP, des pages que vous écrivez avec un des milliers de logiciels disponibles et c’est parti, tout le monde peut voir votre https://mon-site-Web-intéressant.fr.

Mais cela pourrait changer. On pourrait imaginer des internautes qui ne savent plus utiliser les URL et qui dépendent d’un moteur de recherche (de préférence géré par une grosse entreprise à but lucratif qui capte d’énormes quantités de données personnelles), même pour voir le site Web de leur entreprise où ils vont pourtant tous les jours. Ou bien on pourrait voir des navigateurs Web qui masquent tout ou partie de l’URL, soi-disant pour ne pas imposer sa vue aux utilisateurs, mais en fait pour mieux orienter sa navigation. Ou bien on pourrait penser à des intermédiaires par lesquels toute publication passerait, et qui choisiraient ensuite de classer selon leurs critères, de censurer, de prioriser tel ou tel contenu qui fera vendre davantage de publicités.

Bien sûr, ce sont des exemples extrêmes. On n’ira certainement pas jusque-là. Mais ce sont des exemples des risques que court le Web. Dans un tel monde, l’URL ne servirait plus à rien, au lieu d’une navigation libre où l’internaute pourrait, à sa guise, choisir d’aller sur https://lyceemozart.fr/ressources/ressources-maths/ ou bien sur https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N19806, nous risquons, si nous ne faisons pas attention à nos pratiques, de nous retrouver dans un monde où une poignée de grosses entreprises contrôle notre navigation.

Mais oublions un instant ces tristes perspectives, fêtons les trente ans en faisant vivre plein de sites Web d’information, de distraction, de réflexion, de beauté et de savoir !